Engagé et drôle, le nouveau film d’Alain Guiraudie met en scène sur fond d'attentats à Clermont-Ferrand, un informaticien, Médéric (Jean-Charles Clichet), amoureux d'une péripatéticienne cinquantenaire interprétée par Noémie Lvovsky.

La critique :

Signé Alain Guiraudie, Viens je t’emmène met en scène des personnages qui sont là où on ne les attend pas. Ce décalage provoque chez le spectateur rires et interrogations alors même que l’histoire se déroule dans un cadre tragique celui d’un attentat à Clermont-Ferrand. Pourtant il n’y a rien d’absurde ou de foncièrement burlesque dans ce film, au contraire, tous les comédiens jouent leur rôle avec beaucoup de sérieux. Mais comment ne pas s’interroger à propos d’un homme qui invite une prostituée à travailler gratis parce qu’il est contre la prostitution ? Le reste est à l’avenant ! L’apprenti terroriste passe ses journées à lire des BD d’Astérix alors que le gentil voisin possède chez lui un véritable arsenal. Quant au personnage principal, plutôt sportif en apparence, il est en fait un expert en informatique, loin du portrait que l’on pourrait s’imaginer d’un geek professionnel.

Mais que raconte le film ? Médéric, (Jean-Charles Clichet) un informaticien, est amoureux d’Isadora, une péripatéticienne cinquantenaire (Noémie Lvovsky). Il n’aura de cesse alors de vouloir passer une nuit avec elle malgré les obstacles. On pense en particulier à  la venue de Selim, un jeune étranger sans abri dans son immeuble qui va éveiller malgré lui les soupçons.

En fait il s’agit de raconter des histoires d’amour qui s’entrecroisent dans un cadre qui évoque les angoisses et les travers de notre société. Guiraudie en profite pour brocarder les clichés envers les homosexuels, les jeunes, les musulmans, les péripatéticiennes. Il dénonce en filigrane ce qui fait le ciment de l’extrême droite : la peur de la différence. Mais le réalisateur a visiblement choisi d’en rire plutôt que d’en pleurer pour le plus grand bonheur des spectateurs.

Guiraudie montre comment la grande Histoire (attentats, immigration, sécurité) se traduit dans la petite histoire (amour, sexualité, querelle de voisinage) et comment les écrans s’interposent entre notre vie et l’Histoire. En effet, Médéric et ses voisins, pourtant au cœur des événements, laissent en permanence la télé allumée pour s’informer et ce sont ces images qui finiront par perturber leur tranquillité. Ce qui est diffusé sur leurs écrans devient ici la réalité au détriment de leur sens. Le summum sera atteint quand l’un d’entre eux commentera les images de lui-même captées dans le feu de l’action, comme si le fait d’avoir été filmé était devenu le seul moyen pour lui de donner une quelconque véracité à ses actes .

Les différents protagonistes du film sont ambivalents, passant de la confiance à la méfiance en un quart de seconde. Ils sont avant tout déboussolés par ce qu’ils ressentent à cause des attentats perpétrés dans leur ville. Le spectateur s’en retrouve par ricochet déstabilisé, pris dans une crise existentielle et ne sachant quoi en penser. Pourtant Guiraudie sait mener sa barque et nous offre au final une conclusion digne pour cette comédie.

Laurent Schérer

La bande-annonce :

 

L'interview du réalisateur :