Pour son nouveau long métrage Chers camarades !, Andreï Konchalowski revient au noir et blanc qu’il a précédemment utilisé dans son premier film, Le premier maitre, ainsi que pour Paradis son avant-dernier opus. Il revendique d’ailleurs Paradis et Chers camarades ! comme constituant un diptyque autour des régimes totalitaires.

La critique :

À ce titre, l’utilisation du noir et blanc et du format 4/3 dans Chers camarades n’est jamais gratuite. Son emploi offre en effet un niveau de réalisme supplémentaire à une œuvre qui rappelle visuellement les films d’archives. Le film dont l’action se situe en 1962, nous dévoile la répression sanglante de la grève de Novotcherkassk, qui fit vingt-six morts, des dizaines de blessés et plus de cent prisonniers dont sept furent fusillés. Située dans une ville de moyenne importance de la région de Rostov, cette révolte écrasée dans le sang ne fut cependant révélée au grand jour que trois décennies après les faits.

Lioudmila (remarquable Yuliya Vysotskaya) est un pur produit du communisme soviétique. Elle est une femme convaincue des bienfaits présents et surtout futurs que peut apporter un tel régime à son pays. Elle est prête à tout pour servir le Parti communiste et ses dirigeants.  Grande admiratrice de Staline, elle prône même la peine de mort pour tous les opposants. Mais ses certitudes vont être mises à rude épreuve. D’une part parce que le petit père des peuples qu’elle idolâtre n’est plus en odeur de sainteté depuis l’accession de Khrouchtchev qui a conduit à la déstalinisation, mais surtout parce que sa fille Svetka va participer à la grève de l’usine sidérurgique où elle travaille. Une révolte liée au fait que  les salaires ont été baissés alors que les prix des denrées de première nécessité viennent d’augmenter. Lioudmila aura alors du mal à concilier son devoir de communiste et son devoir de mère.

Andreï Konchalowski à travers une reconstitution des faits des plus fidèles, nous livre une analyse critique de la période soviétique : celle d’une vision purement idéologique de la société ou plutôt de ce qu’elle devrait être. Que ce soit au niveau personnel ou de chaque groupe, chacun veut voir ce à quoi il croit. Lioudmila pense que tout était plus clair sous Staline parce que les bons et les méchants étaient clairement identifiés et voudrait retrouver cette période. La foule quant à elle revendique  les droits inscrits dans la constitution, ceux octroyés par la dictature du prolétariat dont elle fait partie. Enfin, les institutions qui constituent le régime ne s’entendent pas entre elles et s’accusent mutuellement d’être à l’origine du mouvement. Un seul point cependant semble les fédérer : une grève est tout bonnement impossible en URSS, car celle-ci mettrait à mal la dictature prolétarienne. En effet, comment le peuple pourrait-il se rebeller contre lui-même ?  Le régime totalitaire soviétique basé sur la surveillance absolue craint ici une seule chose : exposer ses failles. Il faut donc faire disparaître cette révolte de l’Histoire.

Le réalisateur utilise pour sa démonstration un parti pris stylistique simple mais efficace. Tout ce qui relève de l’idéologie est filmé en plans fixes, en particulier les réunions politiques. Tout ce qui relève de la transgression fait bouger le cadre. Ce parti pris renforce ainsi la rigidité du système et a contrario le désordre généré par la grève. Jouant sur les deux tableaux, le personnage de Lioudmila finira quand même par retrouver son humanité à travers sa fonction de mère. Comme si Andreï Konchalowski voulait nous dire finalement que rien n’est figé et que l’espoir est toujours possible.

Après avoir signé Michel-Ange qui nous avait déjà enchanté, Andreï Konchalowski nous prouve une nouvelle fois la vigueur de sa verve cinématographique.

Laurent Schérer

La bande-annonce :