Avec Bergman Island, Mia Hansen-Løve densifie son propos. On la savait rohmerienne, voici qu’elle explore à présent son côté bergmanien. Bergman Island et un film stimulant où un couple de réalisateurs allemands Chris (Vicky Krieps) et Tony (Tim Roth) en résidence dans l’île de Fårö, s’imprègne de l’atmosphère qui y règne.  Les réalisateurs profitent alors du cadre naturel de l’île dans laquelle a vécu et tourné Ingmar Bergman dès 1961, afin de puiser dans les fantômes de scénario et de décors du maitre du cinéma suédois, pour écrire leurs prochains films.

La critique :

Sans que l’on sache vraiment ce qui est de l’ordre du désir, du fantasme, ou de l’écriture, Mia Hansen-Løve décrit les moments de deux couples, celui des réalisateurs, et celui formé par les personnages en jeu dans les scénarios en train de s’écrire durant la résidence dans l’île de Fårö. Les niveaux de lecture s’entremêlent alors dans un récit où l’on  retrouve le couple de réalisateurs Chris et Tony mais également les protagonistes du film à venir : Amy (Mia Wasikowska) et Joseph (Anders Danielsen Lie).

 Bergman est omniprésent durant tout le long-métrage. D’une part parce que Bergman Island est effectivement tourné à Fårö, mais  surtout parce que l’âme du réalisateur plane sur les scripts. En effet, chaque parole ou presque se réfère à une situation bergmanienne.

Pour autant, au-delà de l’hommage au cinéma de Bergman, la réalisatrice n’élude pas la critique du personnage afin de s’intéresser à l’inégalité homme femme. On le sait, la vie privée d’ Ingmar Bergman fut loin d’être exemplaire. Il multipliait les conquêtes pour ensuite délaisser femme et enfant. Cet immense artiste qui a traduit mieux que quiconque, dans son cinéma, la complexité de l’existence et ses subtilités psychologiques, ne semblait pas tenir compte des autres dans sa vie affective. Au point que les habitants de l’île, dit-on, ont pris la mesure du cinéaste, refusant toute aide au touriste de passage. Le mâle peut donc délaisser sa femme et sa progéniture. Mais si la femme abandonne son homme et ses enfants, que se passe-t-il ? Plusieurs fois Chris fait remarquer à Anthony l’inégalité de traitement entre les sexes dans nos sociétés où l’homme a tous les droits. C’est sans doute pour cela qu’elle cherche à changer les rôles dans son scénario. La femme veut prendre l’initiative tandis que son pendant masculin se sent coupable.

Au final Mia Hansen-Løve laisse le spectateur sur sa faim, ou plutôt à sa réflexion. D’où vient l’inspiration ? Est-ce la vie qui se nourrit de fiction ou la fiction qui se nourrit de vie ? Plutôt que de faire passer un message et d’assener une morale, la réalisatrice se penche sur les relations au sein des couples et cherche à distendre grâce à la force de la création artistique le carcan rigide d’une société encore trop misogyne.

Laurent Schérer

La critique en vidéo :