Avec Au nom du peuple italien , le maestro Dino Risi signe une fois encore une perle de cinéma où il tire à boulets rouges sur les comportements égotiques de ses concitoyens. Pour signer cette farce annonçant le berlusconisme à venir, il peut compter sur la plume d'Agenore Incrocci et Furio Scarpelli , l’un des plus fameux duo de scénaristes du cinéma italien. Deux noms que l'on retrouve aux génériques des films de Luigi Comencini, Elio Petri, Sergio Leone, Ettore Scola et même Pascal Thomas.

Pour donner vie aux excellents dialogues du film, Dino Risi s’appuie sur deux monstres sacrés, Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi . Le premier interprète un populiste qui a fait du mensonge une profession de foi. Il éructe en permanence et ne cesse de couper la parole à ses interlocuteurs. L’homme est obsédé par l’idée d’occuper l’espace, qu’il soit sonore ou visuel, en multipliant les gesticulations. Il est l’incarnation des trente glorieuses en Italie où derrière la réussite sociale se cachent des existences vides qui à tout moment peuvent s’effondrer à la manière des bâtiments publics trop hâtivement construits dans le film. Face à lui, Ugo Tognazz propose un jeu tout en nuance. Il est parfait en juge imperturbable dont la soif de justice le pousse à vouloir faire tomber l’industriel joué par Gassman qui incarne selon lui le cancer capitaliste qui ravage l’Italie.

Au nom du peuple italien est une comédie. Mais ce long-métrage est également un drame policier autour de la mort d’une jeune fille qui aurait été droguée et rouée de coups avant d’être abandonnée dans son appartement. Gassman semble durant tout le film le coupable idéal. En effet, c’est un être abject aussi bien dans ses affaires qu’avec sa famille. On pense alors connaître les tenants et l’aboutissant du scénario, le gentil juge contre le méchant industriel fascisant. Dino Risi va cependant nous surprendre dans le dernier acte où il renvoie dos à dos le pouvoir judiciaire et économique. À travers les festivités entourant la victoire de l’Italie contre l’Angleterre au mondial de foot, le réalisateur tend un miroir à ses concitoyens. Dans nos démocraties, le peuple n’est-il pas le premier coupable quand il délègue ses décisions aux puissants, préférant agir dans l’ignorance à la manière d’un enfant capricieux ?

Au nom du peuple italien n’est pas le film le plus impressionnant de son auteur d’un point de vue visuel. La caméra est ici discrète afin de laisser s’exprimer ses deux immenses acteurs. Une comédie satirique toujours aussi percutante dans son message près de 40 après sa sortie. Pas forcement le Risi le plus connu alors que c’est un chef-d’oeuvre à découvrir ou redécouvrir absolument.

Mad Will