Il y a beaucoup de réalisateurs et de films dont on se souvient de façon lointaine. Des rencontres fugaces, sans lendemain, pour le cinéphile qui passe d’un metteur en scène à un autre afin d’assouvir sa passion. Plus rarement, il peut arriver pour le fervent admirateur du 7 ème art qu’une rencontre avec l’oeuvre d’un cinéaste se transforme en une passion immodérée pour l’objet de son désir, comme dans les plus grandes histoires d’amour. Dans mon cas, je dois bien l’avouer, chaque découverte d’un long-métrage de Dino Risi s‘apparente à un ascenseur émotionnel qui me pousse à découvrir toujours plus de films du cinéaste transalpin. Le maitre de la comédie à l’italienne n’a pas fait que capter les habitudes de ses concitoyens afin de nous faire rire, sa force première est d’avoir parfaitement rendu sur pellicule nos existences humaines où les rires et les sanglots s’entremêlent en suivant le tourbillon de la vie.

Parfum de femme synthétise à merveille le remarquable travail de Dino Risi . À la fois satire, comédie et drame, son film témoigne de la capacité du cinéaste à passer d’un registre à un autre avec une facilité déconcertante. Au final, les aventures du capitaine Fausto, qui auraient pu se résumer devant les caméras d’un cinéaste moins doué à un long tunnel de blagues misogynes,  s’avéreront au final une déclaration d’amour à la gent féminine par le biais du personnage de Sara. Une protagoniste qui nous rappelle les vers d’Aragon dans Les yeux d’Elsa où le poète déclarait que définitivement "L'avenir de l'homme est la femme" (pour information Ferrat a changé l'ordre des mots dans sa célèbre chanson).

Dans Parfum de femme, il y a avant tout un géant du cinéma devant l'écran : le comédien Vittorio Gassman . Il excelle ici dans le rôle d'un ancien militaire amer et cynique, qui après avoir perdu la vue sur les terrains militaires, décide de mener une autre guerre, cette fois-ci contre ses concitoyens dont il se moque avec férocité. Le film de Risi prend alors la forme d’un road movie où le militaire à la retraite est accompagné d’un jeune garçon qui lui a été détaché par l’armée afin qu’il puisse entreprendre un voyage en Italie pour rejoindre un compagnon d’armes aveugle tout comme lui.

Tout le génie de la comédie italienne est dans ce film. Derrière ce héros cabotin et les situations parfois abracadabrantesques mises en scène comme cet hôtel tenu par des religieuses, l’excès est un moyen pour nous offrir un portrait d’une justesse sans égale sur l’être humain et ses contradictions. Ainsi l‘emphase du réalisateur et de son acteur existe pour nous préparer à la seconde partie du film, où toute la complexité du personnage interprété par Gassman nous sera dévoilée par l'entremise des regards portés sur lui par le jeune militaire et la magnifique Agostina Belli . Si l’ancien capitaine rudoie ceux qui l’accompagnent, c’est pour mieux les protéger de lui-même, car il se joue en lui toute la cruauté de la vie où le désespoir se mêle à un goût pour le sexe devenu une véritable religion pour notre héros.

Risi déclarait que son film n’était pas une comédie, mais plutôt une tragédie. Une affirmation assez juste car le personnage principal, tel Oedipe chez Sophocle, privilégie pendant un long moment le mensonge à la vérité. En maltraitant son jeune compagnon de route à l’aube de sa vie, il souhaite lui dévoiler l'hypocrisie humaine afin de le façonner à son image. Un dessein pas forcement innocent de la part d’un individu qui est incapable de voir l’humanité de chaque être, y compris la sienne.

Médecin psychiatre avant de devenir cinéaste, Risi donne ici corps aux théories freudiennes autour des pulsions où le célèbre psychanalyste autrichien évoquait les divinités grecques Éros et Thanatos. Parfum de femme est à la fois une œuvre qui exalte les plaisirs de la vie à travers des repas copieux où déambulent de jeunes femmes au corps gracieux, et un film mortifère dans lequel des individus désespérés cessent de croire en la vie. Et quand explose ce final riche en émotions, il est bien difficile de ne pas retenir une larme ! On est bouleversé par la leçon de vie offerte par le maitre italien magnifiquement secondé par son acteur vedette. Car derrière la farce, ce cache une œuvre existentielle où Risi nous dévoile toutes les facettes de la psyché humaine. Une subtilité d’autant plus prégnante que le réalisateur laisse le choix à ses personnages de continuer l’histoire alors que le générique défile. Est-ce le début d’une nouvelle ère pour le capitaine ou bien l'annonce d'une existence dans laquelle l’ancien militaire s’abandonne faute de courage pour mener le combat ? On ne le saura jamais vraiment. C'est toute la richesse de cette oeuvre qui est une pièce maîtresse du 7ème art. Un chef-d’œuvre tout simplement !

Mad Will