« Rien n’est plus beau que ce que l’on a sous les yeux et qui s’apprête à disparaître ». Avec Vers la lumière, Naomi Kawase offre une fiction légère et poétique, et inscrit son film dans la continuité de son travail de cinéaste : une réflexion sur la perte et la disparition, marquée par une beauté formelle et sensible, pour faire du cinéma et des images un moyen de lutter contre l’oubli.

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La critique :

Dans une narration fluide, le spectateur suit la jeune Misako (Ayame Misake) qui se plaît à décrire tout ce qu’elle voit, tout ce qui se passe autour d’elle. Sorte de déformation professionnelle, puisque son métier est l’audiodescription. Lors de séances de projection, elle soumet ses mots à des non-voyants en même temps que le film avance, pour leur offrir des images mentales, des sensations et des sentiments qu’ils jugeront pertinents ou non.

L’un d’eux, Nakamori (Masatoshi Nagase), photographe réputé qui perd progressivement la vue, se fait très critique : pourquoi ajouter tant de poésie et d’émotion au commentaire, alors qu’il pourrait se limiter à la simple description objective ? Autrement dit, comment les mots peuvent-ils retenir une image qui s’efface ou qui est invisible, le plus justement et simplement possible ? Alors que la lumière s’éteint doucement pour Nakamori, il tente de la retenir en capturant des instants avec son Rolleiflex, comme le rire des enfants jouant dans un parc, ou le doux sourire de Misako. Entre les deux naît une histoire sensible, délicate et touchante, qui donne au film des tonalités légères et des moments où l’émotion surgit brusquement.

À cette légèreté s’oppose la gravité du propos, qui est celui de la perte. Perte de la vue, perte de la mémoire dont souffre la mère de Misako atteinte de la maladie d’Alzheimer, perte de pouvoir faire ce que l’on aime… Et le film pose cette question : que se passe-t-il quand tout a disparu, quand il n’y a plus de lumière, que tout est effacé ? Il reste les mots, la parole, le toucher, et les souvenirs pour empêcher le réel de disparaître totalement, pour être toujours au plus près des choses et des gens. Une idée que Naomi Kawase met elle-même en œuvre dans sa pratique de cinéaste, dans une mise en scène à la fois sobre et soignée, avec un travail magnifique sur la lumière et les visages, souvent présentés en très gros plans. Elle affirme toujours cette volonté de se placer au plus près du monde grâce à la caméra et capturer des images, des émotions et des mouvements qui sont tous éphémères, car, comme il est répété plusieurs fois dans le film : « Rien n’est plus beau que ce que l’on a sous les yeux et qui s’apprête à disparaître ».

L’image et les mots sont là pour retenir cette beauté formelle et sensible. Le cinéma et la parole sont confrontés à un même problème : l’oscillation permanente et paradoxale entre la justesse et l’impuissance qu’ils ont à capturer le réel. Mais ils ont en commun de lutter contre l’oubli, et de rendre le monde visible. On retrouve ici un des traits propres au cinéma de Naomi Kawase, cet entêtement à ne pas laisser mourir les choses et les êtres, à les filmer pour les maintenir vivants. Déjà en 1994 dans Katatsumori, où Naomi Kawase captait la vie quotidienne de sa grand-mère, elle tentait de se rapprocher de ce qui s’estompait, qui se dérobait à elle, grâce à la caméra.

À travers les images, Naomi Kawase exprime la vie, la joie de la vie, et son film Vers la lumière est à la fois un hommage au cinéma et à sa capacité à retenir le réel, dans un récit léger et émouvant, qui mêle distance et proximité des êtres et la possibilité de retenir ce qui se perd.

Camille Villemin

La bande-annonce :