Cyborg est souvent considéré comme le dernier long-métrage notable produit par la défunte Cannon. Ce mythique studio indépendant est resté dans l’histoire comme l’une des rares structures indépendantes à avoir essayé de damer le pion aux majors hollywoodiennes, en lançant des films comme Superman 4 ou Les maitres de l’univers. Les duettistes à la tête de la société sont Menahem Golan et Yoram Globus qui étaient partis de leur Israël natal pour réussir à Hollywood. Ces deux filous qui finançaient leurs films avec le budget du suivant auront produit pendant une décennie un nombre incalculable de films bien bourrins mettant en scène Chuck Norris ou Michael Dudikoff. Sans doute en recherche de respectabilité, ils auront produit également des longs-métrages de Jean-Luc Godard, Robert Altman, Andreï Kontchalovski (qui aura sans doute offert à la Cannon son meilleur film avec Runaway Train) John Cassavetes ou encore Barbet Schroeder .

Pyun a proposé le projet Cyborg à ses producteurs qui commençaient à être en manque de liquidité après les résultats catastrophiques du Superman 4. L’échec du film avait amené la firme à annuler les longs-métrages Spiderman et Les maîtres de l’univers 2 que Pyun devait réaliser. Alors que plus de deux millions de dollars ont été engloutis en décors et costumes pour ces deux longs-métrages, Pyun décide d’écrire un film pour essayer de rentabiliser les sommes investies en réutilisant les décors et les costumes qui avaient été créés. Menahem Golan est enchanté et valide le projet. En effet, Pyun s’engage à faire Cyborg pour moins de 500 000 dollars ! Il impose néanmoins au réalisateur Jean-Claude Van Damme qui avait joué dans le dernier succès en date de la firme : Bloodsport !

Quelques mots sur le réalisateur du film, Albert Pyun , un stakhanoviste de la pellicule avec pas loin de 60 longs-métrages à son actif : ses premiers pas, il les fait adolescent dans son Hawaï natal où il enchaine des petits boulots dans différentes sociétés audiovisuelles. L’immense Toshirō Mifune après avoir vu l’une de ses œuvres de jeunesse, le contacte afin de lui proposer un stage alors qu’il s’apprête à tourner dans Dersou Ouzala . Par le biais du prestigieux comédien japonais, Pyun rencontre alors le chef opérateur de Kurosawa : Takao Saito. Celui-ci lui prodiguera de nombreux conseils en lui expliquant l’importance des couleurs et du cadre afin de diriger le regard du spectateur au cinéma. Si Mifune refuse au final de tourner dans Dersou Ouzala , cette expérience avec les grands noms du cinéma du Soleil Levant a quand même influencé Pyun dans sa manière de tourner, particulièrement dans un film comme Cyborg où certains plans ressemblent à des tableaux grâce à une lumière très stylisée.

À l’aube des années 80, il part à Hollywood tourner L'Épée sauvage qui fait un carton au Box office US malgré son très maigre budget. La Cannon l'engage alors sur plusieurs longs-métrages. La firme semble avoir trouvé ici le cinéaste idoine au moment où elle s’est engagée sur de trop nombreux projets de films sans avoir les fonds nécessaires. Pyun garde un agréable souvenir de cette période même s'il devait faire des miracles avec les budgets faméliques qu’on lui octroyait. Il insite sur le fait que Menahem Golan et Yoram Globus laissaient une grande marge de manœuvre aux réalisateurs tant que le plan de tournage et le budget étaient respectés.

Avec moins de 500 000 dollars en poche et 24 jours de tournage, il signe pourtant avec Cyborg le meilleur film de sa carrière. Cette série B mélangeant science-fiction et karaté sera tout simplement le dernier grand succès de la firme. La suite de la carrière de Pyun le verra progressivement passer du B au Z avec des tournages de plus en plus vite expédiés. Christophe Lambert qui a plusieurs fois joué avec le bonhomme déclare qu’il avait un talent visuel inné. Pour l’acteur français, il aurait sans doute réalisé des chefs-d’oeuvre s’il avait pris un peu plus de temps sur chaque film plutôt que de courir d’un tournage à l’autre.

Quand on revoit Cyborg en haute définition, il est impossible de donner tort à notre highlander préféré. En effet, certaines séquences du film sont vraiment splendides. On pense évidemment à cet affrontement dans les égouts où notre JCVD se suspend dans le vide grâce à son grand écart facial. Le visuel ici est réussi grâce à une photographie en clair-obscur qui détache à merveille les combattants et des choix des cadrage qui donnent l’impression que le réalisateur façonne des tableaux dignes du célèbre illustrateur Frank Frazetta. De la même manière, le dernier combat du film est une franche réussite avec sa colorimétrie bleutée et sa pluie qui vient mettre en valeur les muscles saillants de ses combattants. Peut-être en raison de sa rencontre avec le chef opérateur de Kurosawa , Pyun nous livre de très beaux plans très stylisés pensés comme des estampes. Un résultat plutôt impressionnant quand on connait les délais de tournage et le maigre budget de Cyborg . Ces moments où le réalisateur soigne ses images donnent beaucoup de cachet au film. Parallèlement à ces scènes splendides, notre stakhanoviste a quand même tendance à torcher d’autres plans. Quand il s’attaque aux dialogues (heureusement peu nombreux) ou propose des séquences explicatives, il tombe dans une image plus télévisuelle. Heureusement le montage du film a le mérite de réduire les scènes explicatives au strict minimum, surtout quand on le compare au director’s cut sorti il y a quelques années par Pyun sous le titre de Slinger. Il faut savoir que le premier montage de Cyborg n’a pas vraiment été du goût des spectateurs lors des projections tests : trop long, plutôt prétentieux avec sa voix off prépondérante. Le monteur qui avait déjà fait des miracles sur Bloodsport est alors engagé pour retoucher le film. L’avantage pour la Cannon, c’est qu’il ne coûte rien, car c’est l’acteur principal, l’ami JCVD ! Au regard du résultat, j’aurais envie de vous dire que notre Belge préféré est plutôt doué dans l’exercice. Il a supprimé la voix off et insisté pour notre plus grand plaisir sur certains détails un brin sadiques comme le fil barbelé qui déchire les mains de la gamine lors de l’attaque des loubards. Surtout, les combats sont ici bien mieux découpés.

Si Cyborg est une série B hautement recommandable c’est avant tout pour son mélange entre le western spaghetti et le post apocalyptique. Si on retrouve des costumes à la Mad Max, la scène de la crucifixion du héros ou les flashbacks dans son passé rappellent surtout le sadisme des westerns spaghettis de Sergio Corbucci tels que Le Grand Silence ou Django . Nous sommes vraiment en présence d'un héros dont le corps meurtri devient le réceptacle de la violence d’une société malade. Si JCVD n’est pas le meilleur acteur du monde, il fait preuve d’un charisme impressionnant devant la caméra grâce à une présence animale qui fera de ce Belge une star de l’action. Et puis un film où tous les personnages portent des noms en rapport avec la musique rock comme Pearl ou Fender ne peut être fondamentalement mauvais.

Cyborg n’est pas le meilleur film du monde. Néanmoins la présence magnétique de Jean-Claude Van Damme et certaines idées visuelles font de ce long-métrage une série B recommandable.

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Mad Will