À l’occasion des élections aux USA, nous vous proposons un retour sur deux œuvres cultes du cinéma fantastique Harlequin et Dead Zone . Deux films appartenant au panthéon du genre et qui nous dressent des portraits d’hommes politiques assez terrifiants.

# Dead Zone de David Cronenberg

Sorti en 1983, ce 9ème long métrage réalisé par David Cronenberg est sans doute l’un des films les plus marquants sur l’association entre le fantastique et le politique surtout que le personnage interprété par Martin Sheen fait beaucoup penser à Donald Trump.

Après un terrible accident de voiture qui l’a laissé 5 ans dans le coma, Johnny Smith a développé une vision extra lucide : il est capable en touchant quelqu’un de connaître son avenir ou son passé. Au même moment dans la petite ville de Castle Rock, un tueur en série enchaine les meurtres.

Dead Zone est une œuvre importante dans la carrière de Cronenberg. Souvent citée comme son premier film grand public et américain, cette réalisation est également très intéressante en termes d’évolution narrative et de récit. Si la mise en scène reste sobre en comparaison du reste de sa filmographie (à l’exception d’une scène au ciseau où l’on retrouve la patte du maitre en 2 plans) c’est plutôt du côté du récit et de sa structure sur l’évolution morale du personnage que l‘œuvre séduit et que l’on peut retrouver les thèmes de Cronenberg (contamination du corps, nouvelle perception de la réalité) alors même qu’il n’a pas touché au script. En effet Dead Zone est un film de commande, piloté par la Paramount. À l’époque Cronenberg est auréolé du succès de Scanners mais a fait un four total avec l’incroyable Vidéodrome . Il accepte alors cette adaptation d’un roman de Stephen King produit par Dino de Laurentis et Debra Hill pour 10 millions de dollars. Le film en rapportera le double et donnera lieu à un téléfilm et une série dans les années 2000.

Le récit de King préfigure déjà son génial 22.11.1963 (même si au lieu de changer le passé le héros tente de modifier l'avenir) et aborde cette question classique de philosophie sur l’opportunité de tuer quelqu’un avant qu’il ne commette un crime.

Dead Zone travaille avec l’évolution morale de son personnage la question du don et de ses conséquences. Johnny Smith est un homme brisé qui a tout perdu après 5 années d’absence. Son corps est en miettes et cette faculté extra lucide qui le place au-dessus de ses semblables est un fardeau. La frontière entre clairvoyance et aliénation mentale est fine et notre Johnny Smith présenté comme une bête de foire finit par se réfugier dans la solitude. C’est sans compter sur le destin qui va placer sur sa route des événements tragiques qui remettront son pouvoir au centre de sa vie. La mise en scène très classique abrite un récit initiatique captivant qui vient confronter la vision du héros (déontologie/conséquentialisme) en lui opposant d’abord un tueur en série puis un politique démago et populiste dont l’impulsivité menace l’humanité.

Servi par un Christopher Walken très juste en medium tourmenté et par un Martin Sheen terrifiant en Trump avant l’heure, Dead Zone est un écho glaçant de notre époque qui vaut le détour pour sa structure dramatique impeccablement maitrisée et son final poignant.

Thomas

# Harlequin de Simon Wincer

Harlequin est une œuvre que vous ne recroiserez pas de sitôt dans une salle de cinéma ou sur votre téléviseur. Cette réalisation de Simon Wincer est en effet symptomatique du fantastique Australien qui offrait un vrai regard sur le monde tout en s’inscrivant dans le cinéma de genre. Que ce soit Mad Max, Pique-nique à Hanging Rock ou encore La Dernière Vague, le continent océanien nous a offert tant de grands moments de cinéma ! Harlequin possède un charme fou grâce à son ambiance mystérieuse, sa réalisation et son univers fantasmagorique. Et je peux vous assurer qu’arriver au crépuscule de votre vie de cinéphile, c’est une réalisation qui vous restera en mémoire tant elle s’avère singulière et profondément touchante.

Mais que raconte le film ?

Le fils du sénateur Nick Rast est miraculeusement guéri de la leucémie par Grégory Wolfe, un guérisseur aux pouvoirs extraordinaires. Wolfe apprend par ailleurs au sénateur que Wheelan, son principal soutien politique, le manipule à son insu, mais Wheelan lui fait croire que Wolfe est un charlatan et le convainc de la nécessité de le supprimer...

Le scénario d'Harlequin est l'oeuvre d'Everett De Roche. Les amateurs de fantastique connaissent bien le bonhomme pour ses scripts comme Long Weekend ou Patrick (et son H.P. en folie). À la réalisation, nous retrouvons Simon Wincer qui signe ici son second film après Snapchot, une sorte de  Neon Demon avant l'heure (c'est pas beau de copier Nicolas Winding Refn !). Au casting, deux acteurs anglais se partagent l’affiche. Nous retrouvons ainsi David Hemmings bien connu par les cinéphiles pour Blow Up et Robert Powell entraperçu par les spectateurs anglais dans de nombreuses fictions télé. Si Hemmings nous offre une prestation plus que correcte, son camarade de jeu lui vole indéniablement la vedette dans son rôle de gourou. Multipliant les registres de jeu, Robert Powell est tout bonnement extraordinaire par sa capacité à vous inspirer la sympathie ou la peur dans la même minute. De plus le charisme de l'acteur fait que son personnage n'est jamais ridicule alors qu'il se promène en tenue d'Arlequin durant tout le film. Du point de vue de la mise en scène, Simon Wincer est en pleine possession de ses moyens et signe ici sans doute son meilleur film. Oeuvre politique, pamphlet religieux, relecture de l'histoire de Raspoutine, les pistes d’interprétation sont nombreuses et chacun analysera le film selon sa propre sensibilité.

Une ouverture magistrale

En quelques plans tout est dit grâce à la mise en scène et le montage. Sans aucune musique, les premières images sont celles d’un nageur qui va bientôt mourir sous les flots (introduction qui fonctionne parfaitement avec la conclusion du film). Puis le réalisateur utilise un montage alterné où l’on voit l'ascension au sommet de l'État du sénateur Rast (joué par Hemmings) alors que se déroule au même instant la fête de son fils atteint de leucémie. Le montage alterne alors équitablement les deux séquences jusqu’au moment où notre Harlequin déguisé en clown sort un jeu de cartes. Un joker dépasse du jeu. Le réalisateur mixe alors les ambiances sonores des deux scènes pour nous indiquer la prise du pouvoir par Robert Powell de l’environnement intime de sénateur Rast. Et même si le politique arrive finalement à l’anniversaire de son fils, il a perdu son autorité sur son espace familial. Au fur et à mesure du long-métrage, Robert Powell va petit à petit contrôler la famille d'Hemmings, devenant le père de substitution du garçon, l’amant de la femme abandonnée et même la conscience morale du sénateur qui doit faire face à un entourage politique des plus nébuleux.

Une œuvre « culte »

L'essentiel du film se déroule dans la riche villa abandonnée du sénateur qui fait penser à une scène de théâtre (il n’y a aucune habitation autour, on dirait presque un plateau nu) où se jouerait le futur du pays. Les ruptures de ton participent également au plaisir ressenti devant le long-métrage. Suspens, manipulation… Un film riche, où même les noms ont une importance, à l’image du patronyme du sénateur Rast qui est tout simplement le mot Tsar inversé.

Poétique, politique, magique, porté par une magnifique partition de Brian May et bien interprété, Harlequin est un film culte d’une richesse incroyable à redécouvrir absolument !

Mad Will