Huston est devenu un cinéaste influent à Hollywood dès son premier film avec Le Faucon maltais adapté d’un roman noir de Dashiell Hammett. Durant sa très longue carrière, il a souvent mis en image des classiques de la littérature tels que La Nuit de l'iguane de Tennessee Williams, L'homme qui voulut être roi de Kipkling ou bien Moby Dick d’Herman Melville. Dans le cas de l’adaptation d’Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry, il s’attaque à un monument de la littérature anglo-saxonne sur lequel des cinéastes aussi prestigieux que Luis Buñuel , Ken Russell , Joseph Losey et Jules Dassin se sont cassés les dents. Cet ouvrage-fleuve est en effet difficile à rendre à l’image, car il manie le symbolisme et les citations littéraires, multiplie les thématiques, et se joue de la temporalité à l'intérieur même de son récit. Il ne peut être abordé comme une simple histoire, mais doit-être envisagé comme un traité quasi métaphysique sur l’amour où l'auteur évoque en filigrane une société vampirisée par le nazisme. Quand Huston s’attaque à l’adaptation de ce récit heurté, il se refuse à utiliser des flashbacks ou des voix off. Conscient du caractère protéiforme et complexe de l’oeuvre qu’il adapte, il la traite de façon linéaire en se concentrant sur les actions des personnages plutôt que sur leurs réactions ou leurs pensées intérieures. Devant la caméra de Huston , Au Dessous Du Volcan devient une tragédie sur l’alcoolisme où un ex-consul anglais, Geoffrey Firmin, ne vit plus que pour consommer des boissons fermentées. À présent, l’alcool ne lui suffit plus à lui faire oublier sa souffrance et le mène en enfer. Pour un homme comme Huston , amoureux des femmes et du whisky comme en témoigne l’aventure du tournage d’African Queen , son intérêt pour un roman testamentaire mettant en scène un homme malade d’amour et de boisons alcoolisées était logique, surtout que le réalisateur sentait ses forces le quitter au moment du tournage. Ayant vécu de nombreuses années au Mexique, il était également intéressé par l’idée de faire ce film qui allait lui permettre de mettre en scène un pays qu’il avait tant aimé.

Huston signe ici un superbe long-métrage sur l’errance alcoolique dont l'ouverture est un parfait résumé. On y découvre un Albert Finney vêtu d’un costume blanc et noir. L’homme a l’air éméché, mais il essaye de rester digne et tente d’adopter une posture qui rappelle ses anciennes fonctions de consul. La mise en scène est alors au diapason de l’interprétation de son acteur principal. Huston va ainsi alterner de splendides plans pris au trépied qui semblent tout droit sortis du cinéma classique et des prises de vues plus mobiles et captées sur le vif où la déchéance du personnage est visible. Le costume ainsi que les plans académiques de Huston sont là pour rappeler la grandeur passée du personnage. Mais très vite, la caméra se fait plus heurtée dans ses mouvements tandis qu’une connaissance de notre héros lui fait remarquer l’absence de chaussettes à ses pieds. Dans cette séquence, Geoffrey Firmin est un personnage touchant par sa fragilité et sa volonté de conserver une sorte de dignité alors qu’il est obligé de se jeter sur une bouteille de parfum quand il est en manque. Concernant son acteur principal Albert Finney, Huston aurait dit que pour la première fois de sa carrière, il n’avait pas eu à diriger un comédien. Il faut bien l’avouer Finney à l’écran rend parfaitement les nuances d’un personnage qui ne veut pas être sauvé malgré le retour de son amour passé. L’alcool lui est nécessaire pour vivre dans notre monde. Vétéran de la Première Guerre mondiale où il a connu l’horreur, il a parfaitement compris en 1938 que le conflit à venir va être encore pire que le précédent. De même, dans sa relation amoureuse, il a conscience qu’une deuxième fois est impossible alors que son ex lui parle de partir au Canada recommencer une vie. Des images d’Épinal dont il sait qu’elles ne deviendront jamais une réalité alors que leur couple a été brisé après le départ de sa bien-aimée. Geoffrey Firmin est est peut-être le protagoniste du film qui se ment le moins à lui même à la différence de son demi-frère dont les actes ne suivent jamais les idéaux. Au final, il connaîtra un destin tragique, ne supportant plus de voir la vérité. Il plongera alors en enfer dans un troisième acte aux lisières du fantastique, superbement photographié par Gabriel Figueroa déjà à l’oeuvre sur La Nuit de l'iguane . Le chef opérateur entre autres du Buñuel nous offre ici une ambiance digne des forges du dieu Vulcain où la brume et la couleur rouge dominent.

Cette quête autodestructive d’un être conscient de sa propre fin est un grand film de Huston . Un de plus, on aurait envie de dire ! À découvrir en salles grâce à Carlotta !

Mad Will