Grâce à Carlotta Films, Total Recall ressort en salles le 16 septembre 2020.

Dès le début des années 70, avant même d’écrire le script d’Alien , Dan O'Bannon et Ronald Shusett envisagent de développer un scénario d’après la nouvelle Souvenirs à vendre de Philip K. Dick. Pendant deux décennies, Variety, le magazine professionnel du cinéma américain, annoncera des tournages à venir avec les comédiens Patrick Swayze, Richard Dreyfuss ou William Hurt sous la direction de cinéastes tels que Bruce Beresford ou encore de Cronenberg . C’est au moment où l’on pense que le projet est abandonné par son producteur Dino De Laurentiis, suite aux mauvais résultats de Dune , que notre bodybuilder préféré autrichien Arnold Schwarzenegger entre en scène. Intéressé par le projet, il demande à Carolco de racheter les droits. L’acteur profite également de son statut de star pour imposer un réalisateur qui vient tout juste de finir son premier film à Hollywood (*) : Paul Verhoeven .

Si Schwarzenegger n’est pas le meilleur acteur du monde malgré un charisme évident, ses choix de carrière montrent qu’il est un homme intelligent et visionnaire. Il aura ainsi repéré le talent de John McTiernan   après avoir vu Nomads, film fantastique à tendance ésotérique qui ne laissait en rien présager la carrière du futur cinéaste de Piège de cristal . Par le biais d’une seule scène dans le film, lors de l’assaut par les loubards de la maison du héros, il fut frappé par la maîtrise dans les scènes d’action du réalisateur et l’engagea pour Predator . De la même manière, il fera des pieds et des mains pour jouer dans Terminator , convaincu par le script de James Cameron alors que celui-ci a seulement signé un film de piranhas. Enfin, il imposera sur Total Recall un cinéaste hollandais un peu fou à la tête d’un des plus importants budgets de l’époque.

Après une dernière phase de réécriture qui verra le départ de Dan O'Bannon pour divergences artistiques, le projet est lancé. Le réalisateur et son acteur principal s’entendront à merveille pendant le tournage qui se déroule à Mexico. Verhoeven parle en termes élogieux d’Arnold qui s’est avéré un homme ouvert, agréable sur les plateaux et un bourreau de travail. De plus, Total Recall est l’occasion pour le cinéaste hollandais de rencontrer sa future actrice de Basic Instinct . Sa manière de passer de la tendre épouse à la psychopathe aurait beaucoup joué dans la décision du cinéaste hollandais de lui proposer le rôle principal de son sulfureux thriller .

À l’occasion de la ressortie du film, il ne faudrait pas oublier que Total Recall ne fut pas célébré en son temps par la critique hexagonale. À l’époque, ils n’étaient pas si nombreux, à l’exception de la presse spécialisée dans le genre, à considérer Verhoeven comme un grand réalisateur. Il faudra de nombreuses années que pour certains intellectuels découvrent sa filmographie hollandaise et prennent conscience de la subtilité de son cinéma. Si le regard des critiques a changé en 30 ans, le film est toujours aussi agréable à revoir.

Total Recall est un parfait résumé de la carrière américaine de Verhoeven qui se réappropria les différents genres hollywoodiens afin de produire des films personnels. Robocop reprenait ainsi le concept du super héros, et faisait de son être de chair et de métal une sorte de Christ prêt à être crucifié par la société libérale. Total Recall est quant à lui pensé comme une simulation de long-métrage d’action. Pour comprendre ce film, il faut revenir à ses origines littéraires. En effet, Philip K. Dick est l’écrivain du simulacre. La plupart de ses écrits mettent ainsi en scène la modification et la manipulation de la réalité. Dans Total Recall, le personnage principal, c’est le spectateur plongé dans la fiction hollywoodienne qui s’identifie au héros pour mieux échapper à la réalité. Là où Paul Verhoeven s’avère subtil, c’est qu’il ne tire pas à boulets rouges sur le cinéma de divertissement, il montre même son caractère jubilatoire, tout en dénonçant en filigrane son obéissance aux corporations industrielles. Dans le film, Mars annonce tout simplement le monde à venir où l’air que nous respirons et nos rêves appartiennent à une même société. De la même manière, l’emploi du fondu au blanc avant le générique final est une idée géniale de la part du réalisateur pour imposer une conclusion assez sombre. Un fondu au blanc (**)  qui ne laisse pas de place au doute concernant l’issue du film si on se rappelle les propos tenus à Schwarzenegger avant de lui implanter son rêve. Dans ce film jouissif, Verhoeven milite pour que les spectateurs ne soient pas passifs devant les divertissements d’Hollywood. Le plaisir ressenti devant un film d’action ne doit jamais nous faire oublier les discours de propagande produits par l'industrie du divertissement américaine, au risque de finir totalement lobotomisé.

Un grand film porté par un Schwarzenegger au meilleur de sa forme ! Rajoutez à cela les maquillages de Rob Bottin (The Thing) et la musique tonitruante de Goldsmith et vous obtenez l’un des meilleurs films d’action des années 80/90  ! Indispensable tout simplement.

Mad Will

(*) La Chair et le Sang ne peut-être être considéré comme un film américain, c'est une coproduction européenne avec des capitaux américains. Robocop est bien son premier film à Hollywood.

(**) Spoiler :  Pas de doute pour Verhoeven en interviews, le fondu au blanc indique que notre héros finit lobotomisé.