A mi-chemin entre le documentaire et la fiction, Patric Chiha a souhaité réaliser avec et non sur les jeunes prostitués roms bulgares qu’il a rencontrés par hasard un soir dans un bar viennois. Afin de réaliser cet objectif, il s’est chargé de créer un univers fictionnel à l’aide de costumes, de projecteurs et d’une machine à fumée, puis a laissé les adolescents se mettre en scène eux-mêmes. Le résultat est un objet filmique hors du commun, à la fois humble et stylisé. Dans l’ambiance enfumée du bar où ils travaillent, entre les volutes que l’éclairage rend bleues, rouges et mordorées, les jeunes garçons ne se confient donc pas à la caméra mais devisent entre eux naturellement. Alors que les roms sont le plus souvent représentés et perçus sous l’angle de l’altérité radicale, Patric Chiha réussit la gageure de nous les rendre familiers. En nous donnant à écouter leurs discussions sur le travail, l’argent, la famille, l’amour ou l’avenir, il nous permet en effet de constater à quel point, s’ils n’étaient piégés par l’importance de la valeur famille de leur culture, qui les contraint à être pères très jeunes, et par la précarité économique de l’Europe de l’Est, qui ne leur laisse d’autre choix que de mendier ou de se prostituer pour pourvoir aux ressources de leur ménage, rien ne les différencierait de nous…

Florine Lebris