Ayant transformé sa vie en purgatoire à la suite d’un drame personnel, Lee (Casey Affleck) se maintient en retrait de toute vie sociale. Lorsque son frère meurt brusquement, il se voit confier la charge de son neveu. D’abord réticent, ployant sous le poids des fantômes du passé, il finit par se laisser apprivoiser par l’adolescent solaire. Le développement de ce lien le ramène peu à peu dans la vie…

A l’image de son anti-héros, quadragénaire au physique avantageux mais au moral en berne, Manchester by the sea n’est pas un film bavard. La bande-son intra-diégétique est régulièrement suspendue au profit d’une envolée musicale dont le lyrisme exprime mieux que n’importe quelle ligne de dialogue les affres qui tourmentent le protagoniste. Dans les flash-backs, notre prescience de spectateur nous permet même d’y lire l’inexorable en marche. Toute la beauté du film est d’assumer cette esthétique de la suspension, qui prend au sérieux la souffrance de l’homme ordinaire écrasé par la honte. Parce qu’il ne traite son protagoniste échouant à retrouver le fil du dialogue avec les autres ni comme un looser bouffon ni comme une figure christique, Kenneth Lonergan atteint un réalisme psychologique qui lui permet de poser des questions pouvant toucher le plus grand nombre : comment sortir de la spirale masochiste dans laquelle on a tôt fait de s’enfermer lorsque la culpabilité nous ronge ? Quelle posture adopter vis-à-vis des écorchés qui nous entourent lorsque l’on est soi-même épargné par le malheur.

F.L.