Le spectateur qui souhaiterait se retrouver immergé dans des images d’archives reconstituant dans un montage chronologique et thématique ce que furent les événements de 68 dans ses multiples dimensions se fourvoierait en allant voir Mai 68, La Belle Ouvrage. En effet, ce documentaire a une coloration beaucoup moins historique qu’ethnographique. Il est la ressortie complétée et restaurée par Loïc Magneron d’images filmées par son père Jean-Luc Magneron, l’éclectique metteur en scène cosmopolite qui compléta sa formation théâtrale par des études de sociométrie et de filmologie, et s’illustra par ses films sur les cérémonies sacrées de peuples premiers en Amérique et en Afrique jusqu’à devenir directeur de la Télévision gabonaise. Certes entrecoupé d’images inédites de la répression en acte et de ses sanglantes conséquences hospitalières, Mai 68, La Belle Ouvrage est avant tout charpenté par une suite de longs entretiens filmés en plans fixes rapprochés. Focalisé sur les violences policières perpétrées notamment les 24 et 25 mai durant les nuits des barricades, Jean-Luc Magneron en interroge les différents acteurs et témoins. Tous racontent les mêmes abus de pouvoir, le même sadisme des forces de l’ordre, chacun avec la terminologie et le point de vue correspondant à sa position sociale. Etudiants, médecins, journalistes et badauds se succèdent ainsi pour témoigner de l’usage de gaz asphyxiants, réfuté par les autorités officielles de l’époque, et des tabassages éhontés derrière les vitres teintées des paniers à salade et entre les murs des commissariats. C’est cette accumulation de paroles convergentes des victimes qui deviennent autant d’« actes de contre-accusations » (selon le mot de Jean Delmas) qui fait la force de la preuve de ce précieux documentaire-réquisitoire que nous lègue Jean-Luc Magneron. 

F.L.