Le marivaudage est une source intarissable de récits dont Abdellatif Kechiche n’a pas fini de nous abreuver. Dans celui-ci, filles et garçons d’origines culturelles et sociales différentes s’affrontent sur le terrain de la séduction, le temps d’un été, dans le décor paradisiaque des plages sétoises. Loin des sitcoms et de leurs adolescents falots, Mektoub, my love : canto uno met en scène de jeunes adultes pourvus de réflexivité et d’ambition existentielle. Qu’elles soient aguicheuses mais frigides ou souverainement jouisseuses, les femmes qu'éclaire l'enfant chéri du festival de Cannes ne sont pas dupes des jeux de l’amour et du hasard dont elles sont parties prenantes.

   Indéniablement méditerranéen, Kechiche filme avec la même sensualité la mer, les Vénus callipyges, la sexualité effrénée, les douleurs de l’agnelage. Charnel et bavard, il nous offre une variation particulièrement savoureuse de ses habituelles dissections des relations amoureuses. Amoureux pour sa part des actrices, ce n’est plus une, ni deux, mais trois femmes aussi sublimes que perspicaces qu’il met à l’honneur dans un récit que l'on pourrait croire autobiographique mais qui est officiellement l'adaptation libre d'un roman de François Bégaudeau. Trois nouveaux visages, trois forts caractères, trois révélations : Alexia Chardard, beauté tragique ; Lou Luttiau, toute de vivacité intellectuelle mâtinée de sophistication bourgeoise ; Ophélie Bau, gouailleuse et solaire, digne héritière de Sara Forestier, Hafsia Herzi, Yahima Torres et Adèle Exarchopoulos. Lucides, pleines de désir et décidées à ne faire aucune compromission avec leur bonheur, elles veulent croquer la vie et les hommes à pleines dents même si elles doivent s’y écorcher un peu le cœur. Tous les trésors d’hypocrisie que sont capables de déployer des femmes concurrentes, Mektoub, my love : canto uno le capture d’un œil amusé mais tendre, sans violons et sans pluie battante, avec le soleil en toile de fond qui semble diluer le tragique des situations dans sa prodigalité lumineuse.

   A la fin d’un film qui dure pourtant déjà trois heures, on n’est pas lassé de leurs chassés-croisés amoureux et on en demande encore. Ça tombe bien, car le réalisateur franco-tunisien laisse en suspens le devenir de son discret héros photographe, nous invitant à patienter le temps qu’il tourne et monte la deuxième partie d’un triptyque annoncé.

F.L.