Caméra d’Or en 1989, Mon XXème siècle ressort cette année en version restaurée 4K à l’occasion de la nomination aux Césars d’Ildiko Enyedi et permet à ceux qui ont découvert la talentueuse réalisatrice hongroise grâce à son récent Corps et âme de prolonger leur plaisir avec cet excellent premier film. Cette pure féérie visuelle en noir et blanc s’ouvre sur l’évocation de deux inventions cruciales de la fin du XIXème siècle pour nous faire rêver aux possibles qu’elles promettaient et dont les hommes n’ont pas su tirer profit.

   Néanmoins, contrairement à ce que le titre pourrait laisser croire, rien de moins « historique » et rationnel que le film d’Ildiko Enyedi, qui a justement choisi de s’exprimer par le cinéma après de longues études scientifiques pour explorer d’autres capacités de son cerveau. Cette problématique se retrouve naturellement dans son premier film. A l’image des deux hémisphères cérébraux, les deux jumelles de Mon XXème siècle, aussi flamboyantes que ridicules, humaines, trop humaines, ont chacune développé au détriment des autres une facette possible du caractère humain, comme l’explicite la réalisatrice : « Tout individu voulant être en harmonie avec la société est obligé de remplir un rôle, de mutiler lui-même ses autres sensibilités et inspirations. (...) A travers Dora et Lili, je souhaitais montrer des personnages incomplets, insatisfaits, et dire : on doit laisser exister en soi-même toutes les possibilités ».

   A propos de ce double personnage central, il faut absolument souligner la performance de Dorotha Segda, qui compose brillamment les deux sœurs si différentes, Lili la libertaire et Dora la libertine. En plus d’avoir une finesse de trait à ressusciter les sculpteurs grecs, la jeune femme pétille d’espièglerie (quand elle est Dora) et de perspicacité (quand elle est Lili). Elle incarne ainsi une des idées les plus drôles de ce film foisonnant qui en regorge : tel le lièvre qui considère le renard qui lui court après comme un partenaire de jeu, chez les êtres vivants le ludisme prime souvent la maximisation des profits !

   La densité des directions dans lesquelles Ildiko Enyedi nous entraîne, comme la diversité des types de séquence qu’elle met en scène, des reconstitutions historiques hyper-stylisées aux fantasmagories poétiques épurées (inoubliable séquence de conversation interstellaire) est plus que roborative : elle appelle à visionner de nouveau le film de multiples fois. Comme tout bon chef d’œuvre.  

F.L.