Quand Bernard Rose signe Paperhouse, il est surtout connu comme réalisateur de clips. Avec Paperhouse, il passe enfin au 35mm comme tant d’autres stars des films musicaux avant lui.

Quand on découvre le premier film d’un clippeur des années 80, on s’attend à une pléthore de mouvements d’appareils, une photo léchée une lumière fabriquée à partir de néons et un montage très rapide.  

On s’attend surtout à un film où le soin apporté à l’image est trop souvent en décalage avec le scénario. Et ce qui frappe dès les premiers plans de Paperhouse c’est la mise en scène presque austère de Rose. Ne vous inquiétez surtout pas le film est parfaitement cadré et regorge surtout dans ses séquences oniriques de magnifiques panoramiques ou travellings mais jamais la mise en scène de Rose ne prend le pas sur l’histoire qu’il raconte.

En aparté, pour les plus mélomanes d’entre vous, il est à noter que la très jolie musique du film est l’œuvre d’Hans Zimmer et de son mentor Stanley Myers qui lui mit le pied à l’étrier en le faisant collaborer à de nombreuses bandes originales. Quant au casting, on retrouve comme interprètes connus Ben Cross le héros des Chariots de feu et Gemma Jones dont le premier rôle au cinéma fut dans The Devils de Ken Russell. 

Mais que raconte Paperhouse ?

Petite fille solitaire et rêveuse, Anna découvre qu’elle peut entrer dans un monde parallèle, plus précisément dans une maison qu’elle a dessinée sur une feuille de papier. Elle y rencontre Marc, un garçon paralysé des jambes, qu’elle croit avoir créé. Les liens entre le monde réel et le monde imaginaire vont se resserrer, et le rêve va petit à petit virer au cauchemar surtout lorsque le père d’Anna, surgit dans ses rêves, armé d’un marteau…

Paperhouse, à l’instar des Sorcières de Nicolas Roeg ou Coraline d’Henry Selick (chroniqué par mes soins à cette adresse) est un film dont il est impossible de dire quel est le public visé. Tant ce conte d’apprentissage dans la lignée de La nuit du chasseur peut se révéler effrayant. C’est pourtant l’un des films les plus réussis sur l’enfance car il montre les zones d’ombre et de lumière qui caractérisent la psychologie préadolescente. Le film est adapté d’un roman anglais écrit sous l’influence de Dolto : Marianne Dreams de Catherine Stohrr, que la femme de Bernard Rose, l’illustratrice Anne Tilby a proposé à son amoureux comme sujet de film. Il faut noter qu’Anne Tilby dont les illustrations ont servi au département artistique du film, a travaillé avec un autre réalisateur anglais avant Rose. Et si vous avez bien lu ce dossier, vous devinez de qui je parle : Ken Russell !

Bernard Rose met en scène une petite fille qui doit petit à petit reprendre le contrôle sur ses pulsions pour évoluer. Par l’intermédiaire de la figure du croque-mitaine qui prend le visage du père absent, il caractérise la violence que représente l’adolescence symbolisée par la maison de papier qui est le théâtre d’un affrontement entre le désir de rester enfant et la nécessité de devenir adulte. Avec une réelle pudeur, le cinéaste illustre son propos par petites touches comme dans cette scène où la petite fille se maquille avec une camarade avant de décider de faire une partie de cache-cache.

Si l’œuvre est empreinte de freudisme, elle ne se limite pas à ça car Paperhouse est avant tout une œuvre artistique au sens le plus noble du terme qui réfléchit sur la création. A travers les dessins de la petite fille qui agissent sur le monde des rêves, Rose souligne l’importance de l’acte artistique pour se libérer de ses pulsions et de ses peurs. Le réalisateur anglais dans les scènes de rêve propose un univers onirique visuellement marquant grâce à des décors entre les peintures d’Hopper avec des fausses perspectives à la Escher.

Le film se révèle à ce titre fascinant par sa capacité à nous faire passer de la peur, à la tristesse, sans oublier une profonde mélancolie. Rose arrive à nous faire passer du monde onirique des rêves de la petite fille à la réalité de son existence grâce à la photographie, le son ou encore un détail dans le décor. Le réel et l’imaginaire ne s’opposent jamais, mais se complètent et forment un récit d’une rare cohérence.

Bernard Rose alors jeune réalisateur fait preuve d’une aisance visuelle hors-norme servie par une vraie sensibilité. On peut noter dans ce film singulier, son goût pour le mélodrame qui sera conspué par la suite par de nombreux critiques allergiques à son romantisme exacerbé.

Paperhouse a marqué de nombreux cinéastes inspirant des œuvres telles que Le Labyrinthe de Pan ou Tideland. Si vous n’avez jamais vu cette perle du fantastique anglais, précipitez-vous ! Le DVD ou Blu-ray du film est distribué par Metropolitan Filmexport.

Malgré un accueil enthousiasme dans les festivals, Paperhouse n’est pas un succès public, surtout que son distributeur Vestron déteste royalement le film le trouvant trop intellectuel à son goût ! Néanmoins, l’aura critique du film fait de Bernard Rose un cinéaste à suivre. On attend alors que le cinéaste s’attaque une nouvelle fois au fantastique qui lui réussit bien. Eh bien non !

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