Entre Samedi soir dimanche matin qu’il produit en 1960 et La solitude du coureur de fond qu’il réalise en 1962, Un goût de miel, adaptation de la pièce éponyme de la jeune dramaturge irlandaise Shelagh Delanay, et tourné en 1961, est peut-être le film le plus sensible de Tony Richardson. Loin du film à thèse, le réalisateur s’attache à décrire ses personnages, à les aimer. Le jury de Cannes 1962 ne s’y est d’ailleurs pas trompé en décernant aux acteurs principaux les prix d’interprétation masculine pour Murray Melvin (Geoffrey) et féminine pour Rita Tushingham (Jo), ce qui est exceptionnel pour une même œuvre !

L’utilisation d’une lumière expressionniste, l’art du cadre que Richardson développe avec maestria, en particulier par de magnifiques plans rapprochés sur les visages et les expressions, comme si la caméra cherchait à sonder les pensées des personnages, font de ce film une œuvre d’une sensibilité rare, tout en posant le principe d’un droit à la différence.

Jo est une jeune fille androgyne, en manque d’amour maternel. En effet sa mère Helen, (Dora Bryan) avec qui elle vit au début du film la traîne avec elle, comme un boulet. C’est pour la mère la conséquence d’une erreur de jeunesse et elle la considère comme telle. On pourrait croire que le réalisateur va nous narrer l’atavisme transgénérationnel, mais pas du tout. Ce personnage lumineux va faire preuve d’une sensibilité qui lui permettra de se révolter contre ce qui aurait pu être son destin, un éternel recommencement. Le premier amant de Jo, Jimmy, est un noir (Paul Danquah), ce qui esthétiquement permet au réalisateur d’accenteur la portée expressionniste de la prise de vue et son « compagnon » qui suivra, Geoffey, est homosexuel. Tous les deux sont décrits, non comme représentants d’un type, mais bien comme des êtres sensibles et attachants. Même l’amant de la mère, personnage a priori peu sympathique, éveille chez le spectateur une certaine bienveillance. Il est finalement lui aussi une victime de la misère affective.

Un goût de miel nous présente donc une petite année dans la vie de ces êtres, déménageant au gré des vicissitudes économiques et des liaisons amicales ou amoureuses, toujours en mouvement, comme si la stabilité physique et relationnelle était un idéal inatteignable. Loin d’être donneur de leçon, ce film expose simplement la difficulté d’être pour ces gens de Manchester du début des années 1960.

Un film à voir et à revoir.


L.S.