Si vous cherchez un scénario avec des rebondissements à la M. Night Shyamalan, une psychologie élaborée ou des dialogues ciselés, passez votre chemin. Fulci revient à l’essence même du langage cinématographique en créant un film d’images où le récit prend le pas sur l’histoire : « Mon idée était de faire un film absolu, avec toutes les horreurs de ce monde. C’est un film sans intrigue : une maison, des hommes et des morts qui viennent de l’Au-delà. Il n’y a pas de logique à chercher dans ce film qui n’est qu’une suite d’images »*.

Fulci citait souvent Antonin Artaud pour définir son cinéma : « Un langage à partir de signes, de cris, et non de mots : une pression directe sur les sens. » *.  Dans le cadre de l’Au-delà, on évoquera également le cinéma surréaliste comme modèle à travers le refus du cinéaste de toute causalité et son goût pour les énucléations qui rappellent Le chien Andalou. Il ne faut jamais oublier que Lucio à l’instar de nombreux réalisateurs italiens de sa génération était un intellectuel qui possédait une immense culture plastique et littéraire, mais aussi musicale. Avec des cinéastes tels que Dario Argento ou Pupi Avati (Zeder ou La Maison aux fenêtres qui rient), le cinéma d’exploitation transalpin a toujours marié avec beaucoup de bonheur la culture populaire et les références plus élitistes.

Entouré par l’équipe technique de l’Enfer des zombies, Fulci dépasse les contraintes du budget qui lui est alloué (400 000 euros) pour créer une ambiance oppressante, faisant de son film une œuvre viscérale et jusqu’au-boutiste dans son refus d’utiliser les codes du cinéma narratif.  Seule l’image construit l’histoire. Le plan final qui rappelle la toile du peintre lynché en ouverture du film est l’illustration d‘un cinéma qui utilise ses personnages comme des pantins désincarnés aux mains de l’artiste démiurge qu’est le réalisateur.

Servi par une photographie magnifique, le réalisateur transalpin imprime à l’écran des images qui resteront à jamais gravées dans l’esprit du spectateur comme ce magnifique plan où Emily, la jeune aveugle, apparaît sur le pont abandonné. Fulci joue beaucoup sur le contraste entre les extérieurs lumineux de La Nouvelle-Orléans et les intérieurs cradingues et sombres où les fenêtres et les portes nous sont souvent dissimulées à l’image. Le spectateur souffre réellement de claustrophobie au moment où les scènes de supplice se succèdent. La scène où une mère fond littéralement devant les yeux de sa fille dans une salle de l’établissement hospitalier dit beaucoup du rapport du cinéaste au corps, et de sa vision très clinique de la mort et du deuil. En effet, il n’y a pas d’intellectualisme dans son cinéma qui peut provoquer chez le spectateur peu habitué au cinéma d’horreur, une certaine révulsion. Pas d’ironie envahissante comme aux USA pour désamorcer les situations. Fulci nous donne à voir des tableaux horrifiques mis en scène avec beaucoup de grâce et de crudité.

Homme plutôt à gauche, Fulci avait connu les horreurs du fascisme dans sa famille. Il était donc très inquiet de la montée de l’extrême droite dans son pays et refusa pendant sa carrière de réaliser les « Vigilante Movies » italiens qu’il taxait d’œuvres de propagande fascistes. Nihiliste, mort dans d’étranges circonstances (il n’aurait pas pris son traitement pour le diabète), Fulci usait des scènes d’horreur pour faire réagir le spectateur et provoquer son dégoût et non pour l’endormir avec une violence cartoonesque made in USA.

L’Au-delà est un livre d’images sanglantes tout droit sorti de l’enfer. Expérience sensitive hors norme dans le cinéma d’horreur, manifeste d’un cinéma italien qui entretenait de fortes relations avec l’histoire picturale transalpine, L’Au-delà n’est pas un simple film mais un poème macabre signé par un homme qui aura donné sa vie au 7ème art : « J’ai ruiné ma vie pour le cinéma : je n’ai pas de famille, pas de femme, juste des filles. Toutes les femmes m’ont quitté parce que je ne cesse de penser à mon métier. Mes seuls hobbies sont mes deux chiens et mon bateau à voile. C’est très important pour moi, le travail. John Ford avait dit un jour : Je sais que dans les bars, on dit du mal de moi. Mais moi, je suis en train de tourner dans les montagnes avec les Indiens tandis que les autres parlent… Je crois que pour moi, seul le cinéma est important, c’est mon métier, ma vie. » *

Mad Will

* Les extraits d’interview en italique proviennent du site : http://www.luciofulci.fr/interviews/categorie/interviews-de-fulci

P.S. : L'enfer des Zombies, L'au-delà, Frayeurs... Les plus grands films du maître du gore italien sont édités par Artus films dans des éditions anthologiques ! https://www.artusfilms.com/107-lucio-fulci