Si l’on accepte d’abandonner son rationalisme pour assister à une fable sur le genre humain, Problemos provoque un plaisir proche de la lecture des Caractères de La Bruyère. Ne s’embarrassant pas de réalisme dans la narratologie, les scénaristes Blanche Gardin et Noé Debré saisissent le prétexte improbable d’une pandémie foudroyante n’épargnant qu’une communauté zadiste pour observer au cinémascope un échantillon représentatif de l’humanité.

Le guide spirituel de la joyeuse bande d’écologistes libertaires comprend rapidement qu’une catastrophe ayant réduit à néant le système méprisable contre lequel ils se battaient est une opportunité inédite de mettre en place un contre-système désirable. Toutefois, si la critique est facile, l’art est difficile, et ses tentatives de mise en place d’une micro-société collectiviste se heurtent à la résistance des intérêts particuliers. De même que la plupart des phénomènes biologiques sont représentables sur une courbe de Gauss, on trouve chez les êtres humains la même proportion d’individus surdoués, hyperactifs, lymphatiques, idiots, etc., dans tous les milieux sociaux. Aussi se reforme-t-il naturellement au sein de la nouvelle communauté édénique une structure hiérarchique classique dans laquelle chacun trouve ou s’adapte plus ou moins à sa place en fonction de son caractère. La diversité des personnalités et des talents met donc vite à l’épreuve l’égalité idéale prônée. D’autre part, anarchistes dans le discours, nos zadistes obéissent dans la pratique à un chef implicite et à un nombre de prescriptions morales si pointues et dont l’infraction expose si rapidement à la vindicte et à l’ostracisme qu’ils en feraient pâlir de jalousie l’ordre patriarcal.

Impartial, Éric Judor satirise avec le même fiel la médiocrité intellectuelle et la superficialité des adeptes de la société de consommation que les contradictions des utopistes qui se révèlent curieusement plus inclusifs avec certains que d’autres : l’amour et la tolérance pour le prochain, mais à condition qu’il soit issu du même milieu social et partage les mêmes idées que soi... Le cinéma permet au réalisateur, bien mieux que ne l’aurait fait n’importe quel discours, de montrer les limites de ce contre quoi prémunissait si sagement Aldous Huxley : « l’idéalisme abstrait ». En effet, en mettant en scène la lettre des principes écologistes libertaires, Judor démontre l’absurdité de positions excitantes sur le papier mais inapplicables par des êtres humains, trop humains, dotés d’une chair faible et d’une part de narcissisme irréductible.

Problemos réussit donc le pari téméraire d’être à la fois une comédie et une fable de philosophie politique, grâce à son usage mesuré de la caricature et du gag potache. Lorsqu’ils sont caricaturaux, les personnages ne le sont en effet qu’à un degré à peine supérieur à celui de nombre de militants bien réels ayant transformé leurs idéaux politiques en crédos religieux. S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir du film, ce serait justement sa mise en garde contre le danger de faire paradoxalement de l’anti-conformisme une nouvelle religion, un nouveau conformisme, une nouvelle police de la pensée, au point de devenir une caricature.

F.L.