Pouvez-vous retracer votre parcours avant Adieu Mandalay ?

Avant ce film, quand j’ai commencé à tourner, j’ai commencé à tourner des courts, parce que cela me permettait de participer à des compétitions, il y avait à l’appui des prix, ce qui m’a permis de mettre de côté un petit pécule. Concernant les longs métrages, j’en ai réalisé cinq, deux documentaires et trois de fiction, pour ces derniers tous à petits budgets (inférieurs à l’équivalent de 5000$). Pour Adieu Mandalay , c’est ma première fiction avec un vrai scénario et donc avec un budget un peu plus conséquent.

Quelle était votre intention initiale pour ce film ?

Au tout début, ce qui m’a mis sur la voie de ce projet, c’est d’avoir tant d’amis autour de moi qui sont passés de l’autre côté de la frontière pour aller travailler en Thaïlande, mais également mon frère et ma sœur. Après, concernant la préparation de ce film, en 1992, c’est parti d’un fait divers : j’ai entendu parler d’un couple de jeunes personnes qui étaient partis travailler en Thaïlande et qui au bout de trois ans avaient réuni un peu d’argent et avaient décidé de rentrer dans leur village pour se marier. Ils se sont mariés et peu de temps après, le mari a tué sa femme avant de se suicider. En 2008, quand je suis passé à la préparation de ce projet, cette histoire m’est revenue en tête et je suis parti faire des interviews pour en savoir plus sur ce fait divers, et j’ai notamment interrogé les parents de ce couple.

 

J’ai lu que vous aviez aussi fait des enquêtes pendant trois ans pour en savoir plus sur les travailleurs birmans…

Effectivement, j’ai fait une centaine d’interviews entre 2008 et septembre 2015, date à laquelle j’ai commencé à tourner. Pendant tout ce temps, je faisais évoluer mon scénario et j’interviewais des jeunes Birmans qui étaient passés clandestinement en Thaïlande pour travailler et m’en faisaient le récit.

Le choix de la fiction a-t-il été clair dès le départ ou avez-vous également pensé à faire un documentaire de toute cette matière ?

Au tout début, j’avais vraiment cette idée de film de fiction. Par contre, au fur et à mesure des entretiens que j’ai fait, et quand je suis allé dans l’usine pour vraiment ressentir ce qu’était le travail de ces gens, là je me suis rendu compte à quel point c’était très difficile par le biais de la fiction de faire part de tout ce que je ressentais et de ce qui animait ces gens, alors j’ai pu penser à ce moment-là au documentaire parce que pour moi la fiction simplifiait trop les choses, mais peut-être que c’était moi qui n’était pas prêt à utiliser ce moyen-là...

Comment avez-vous pensé l’articulation entre la beauté des images et le tragique de la réalité décrite ?

Après avoir été mis au courant du fait divers dont je parlais tout à l’heure, s’est imposé à moi que ça n’allait pas être simplement une histoire qui raconte la vie de deux exilés. Ce qui m’intéressait c’était le fait qu’un être humain est toujours poussé par un désir et qu’en même temps ce désir le pousse souvent à faire des erreurs et à commettre des crimes. Pour moi le personnage de la jeune femme n’avait en tête que le désir de monter dans la société et pour cela était prête à vendre son corps au diable, et parallèlement le personnage masculin était beaucoup plus dans la quête du désir amoureux et pour cela pareillement est amené à commettre un crime. Donc c’était plus ce sujet-là, que la destinée humaine est tragique à cause du rapport entre désir et crime. Donc pour faire part de ce drame sur le plan formel, pour moi l’important était que ma caméra capte des ambiances, des situations et aussi la réalité des individus sur un plan personnel, plus intime. Donc j’avais l’usine qui pour moi ressemblait à une prison, il y avait la zone de la frontière où ils passent d’un pays à l’autre, et parallèlement, les zones de paysage naturel : la campagne dont laquelle ils se rendent pour obtenir des papiers… Quant à la jeune fille, elle décide d’aller à Bangkok, donc il y a aussi cette ambiance de la ville qui m’apparaît comme quelque chose de faux. C’est tout ce sur quoi je me reposais pour essayer de faire part de leur combat intérieur, de ce qui les animait sur le plan psychologique. Enfin, quelque chose d’important était d’arriver à faire en sorte que les acteurs soient le plus véridiques dans leur rôle. Pour ça, nous avons dû passer par une longue période d’immersion pour qu’ils puissent s’entraîner et avoir le plus possible en eux de cette couche sociale des ouvriers. Donc les ambiances et les situations d’une part, et l’entraînement des acteurs d’autre part, sont les deux éléments auxquels j’ai vraiment tenu et insisté pour concevoir ce film.

 

La scène des jeux d’eau m’apparaît être la seule où les personnages semblent éprouver un peu de joie, peuvent se délasser un peu, et elle est très courte. Pourquoi ?

Il se trouve que c’est la fête de l’eau qui est célébrée dans toute l’Asie du Sud-Est au moment du Nouvel An. Les ouvriers ont alors trois jours de vacances, c’est donc forcément un moment où s’exprime plus de joie ou de rapprochement entre les garçons et les filles, et là où les sentiments évoluent tout d’un coup… La jeune femme avant ça est dans la situation où elle a un peu accepté ce futur d’ouvrière dans l’usine, elle ne pense qu’à y rester. Et finalement au moment de la fête de l’eau, tout d’un coup comme il y a à l’horizon la possibilité d’avoir des papiers, c’est un moment de rupture pour elle, la possibilité de quitter cette condition.

Le reste du temps, vous avez assumé le fait que les personnages aient un visage fermé…

Surtout en situation de travail, selon ce que j’ai pu moi-même observer à l’usine, c’est la réalité de ce que j’ai perçu des personnes en train de travailler. Dans ce travail à l’usine, il y a énormément de travail de nuit, d’heures supplémentaires, ce qui sollicite le corps de façon intense, donc il y a très peu de moments où les gens se détendent et où la joie s’exprime…

Bien qu’il y ait des signes avant-coureurs, la fin surprend par sa brutalité. Comment l’avez-vous pensée ?

Comme le film repose sur un fait réel et que celui-ci comprenait ce crime. Donc pour moi il était posé d’emblée et c’est à partir de cette fin que j’ai développé tout le reste. Et ce qui était évident c’est que c’était un développement qui tournait autour d’une certaine froideur entre les êtres, entre les deux protagonistes.

Quel cinéma avez-vous envie de faire et de défendre à l’avenir ?

Parmi les projets, et il y en a beaucoup, j’aimerais me confronter au film de genre, mais aussi surtout de tourner des documentaires en étant complètement libre et sans but particulier. Quand je dis ça, je pense à une certaine quête esthétique, parce que finalement si on regarde toute l’histoire du cinéma jusqu’à maintenant, tout ce qui a été fait, il y a plus grand-chose à réformer ou à inventer. La seule chose qui peut nous apporter du nouveau, c’est quand on est confronté soi-même à une situation ou à des êtres sur lesquels on n’a aucun moyen de contrôle, aucune action possible. C’est pour ça que d’aller au gré du vent et de faire des rencontres de personnes et de situations, c’est au contact de ça que ça peut provoquer en moi quelque chose de personnel et nouveau. Mais cela n’a rien à voir avec soi-même la décision de créer un nouveau style, surtout maintenant avec l’accès aux informations, aux techniques existantes de cinéma, c’est difficile de se positionner sur un nouveau chemin… Si j’avais un peu de moyens, un type de cinéma que j’aimerais soutenir, ce sont des jeunes artistes réalisateurs d’Asie du Sud-Est issus de pays en tout début de développement, parce que je pense qu’il est important surtout pour notre génération que les gens puissent collecter et mettre sur le papier leurs expériences personnelles, leurs histoires et, par un moyen ou un autre, en faire part à un public. En tout cas, ce serait un soutien de non-professionnels, de gens qui n’ont pas appris à faire du cinéma, parce que le problème des professionnels du cinéma, c’est qu’au bout d’un moment on en sait trop, alors ce qu’on est susceptible de dire ou de montrer, ce n’est pas très intéressant.

Es-tu déjà en lien avec d’autres cinéastes sud-asiatiques ?

Oui, désormais je commence avec de jeunes Birmans, je leur mets une caméra entre les mains, je leur donne un tout petit peu d’argent pour qu’ils puissent fonctionner, dans le but de leur permettre tourner des images sur des sujets qui leur sont très proches, en sachant pertinemment que ça ne va pas donner lieu à une œuvre, encore moins une œuvre qui ait une valeur commerciale, mais c’est une sorte d’incitation, de leur dire qu’ils ont tellement d’histoires à raconter, et de ressentis. La seule chose qui leur manque, c’est un medium pour les enregistrer.

Pour finir… pourquoi « Midi Z » ?!

(rires) « Midi », c’est un surnom en birman qui désigne le plus petit de la famille, celui aussi qui est le plus fragile, donc qui bénéficie du plus de sécurité. Par exemple, si quelqu’un cherche des noises à la famille, il va forcément s’adresser aux grands, aux adultes, mais pas aux petits. Donc c’est une façon de conjurer le sort et de me protéger dans l’avenir. Quant à « Z », c’est parce que mon nom de famille en chinois est « Zhao », et que ce nom de famille est extrêmement difficile à prononcer par les Birmans, donc il a été simplifié par « Z », notamment au moment de faire les papiers officiels…

Merci à Midi Z et Makna-Presse, . Une interview réalisée par Florine Le Bris